Construit par le plasticien Fabien Noirot, le musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis AP-HP et Tournesol, le projet Marcottage propose à des personnes hospitalisées de découvrir cette technique de sculpture, de se l’approprier, et de réaliser une œuvre collective. Mené sous la forme d’ateliers depuis 2012 et conduit auprès de trois publics dans trois établissements différents, il ne manquait plus que trois articles pour vous présenter en détails ce projet original et passionnant !
Mais en fait, qu’est-ce que le marcottage ?
Le marcottage est une technique de sculpture développée par les Grecs au IVe siècle av. J.-C. Elle repose sur la réutilisation de formes, à travers les moules en plâtre existants, et sur la réinterprétation modelée des sculptures initiales. Il s’agit donc à la fois d’un processus de reproduction par moulage et d’une démarche de création par le modelage et l’assemblage, allant parfois jusqu’à une rupture d’avec le modèle original. (photo)
Cette méthode, souvent méconnue du grand public, a été fréquemment utilisée depuis l’époque grecque, à des fins diverses. Le sculpteur Rodin en est l’un des plus célèbres usagers : assemblant et désassemblant à l’infini des fragments de sculptures existantes (qu’il nomme « abattis »), sa démarche s’oriente progressivement vers un travail sur la composition des œuvres, plus que vers la création ex nihilo de pièces nouvelles. A partir des années 1890, le marcottage constitue sa technique majeure, Rodin allant jusqu’à laisser visible les traces d’assemblage dans la sculpture achevée.
Le propre de la technique du marcottage en sculpture, depuis l’artisanat grecque, est de déposséder l’artiste de l’unicité et l’autorité de son œuvre en donnant en partage, par le biais des moules, sa sculpture. Sur ce principe, l’objectif de notre projet était de recréer l’effervescence des ateliers grecs en déplaçant les moules en plâtre d’atelier en atelier afin de générer des variantes au modèle de départ. Le lien entre les personnes se matérialise ainsi par un lignage des moules qui va engendrer, au final, une œuvre collective.
De la technique grecque à un projet d’art en hôpital
C’est la découverte, en 2011, du musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis APHP, qui inspire au plasticien Fabien Noirot l’idée d’une série d’ateliers autour du marcottage. Il imagine un projet en trois temps, caractérisés chacun par un lieu et un public, avec pour objectif final la réalisation d’une grande sculpture collective autour du motif du bouquet de fleurs. Tournesol, Artistes à l’hôpital, a permis la concrétisation de cette idée initiale, en partenariat avec le musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis APHP et avec le soutien de divers financeurs.
Une dizaine de personnes se retrouvent une fois par semaine pour 20 séances. D’autres activités peuvent être organisées : découverte des artistes et de leurs œuvres, visite au musée Rodin, conférence sur le musée des Moulages, livres et revues, etc.
Pourquoi entreprendre une série ? Un premier atelier réalise des modèles qui vont être modifiés par un second puis par un troisième grâce au truchement du moulage et du modelage. Nous obtenons ainsi un micro-laboratoire artistique qui détourne les outils des archéologues sur le marcottage grec : analyse et conservation des moules, diagramme des lignages entre ces-derniers (photo), carte de géographie pour isoler les lieux de production des modèles et des variantes.
Le premier cycle (1ère génération) a été réalisé avec des personnes âgées de l’hôpital Fernand Widal APHP du 2 janvier au 26 juillet 2012.
Le second (2ème génération) a débuté à l’hôpital Saint-Louis AP-HP le jeudi 17 octobre 2013. Deux publics sont concernés :
- Des patients de cancérologie, et en particulier des patientes atteintes de cancer du sein, à l’hôpital Saint-Louis APHP, en lien avec la médiathèque de l’hôpital et la maison d’information en santé ;
- Des personnes âgées désocialisées hébergées à l’EHPAD du Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre
Immersion dans l’atelier de marcottage
La technique du marcottage et la genèse du projet en hôpital ainsi présentées, il est temps d’ouvrir les portes de l’atelier…
Le premier cycle touchait une dizaine de patients de gériatrie et se répartissait en vingt séances d’atelier. Ces-dernières impliquaient d’abord une initiation à la technique du marcottage, puis la réalisation de moulages sur nature (fruits, légumes, objets divers) et de moules réutilisables, permettant ensuite la reproduction en plusieurs exemplaires de certains moulages. (photo)
Les patients se sont vus proposer la consigne suivante : « A partir du modelage d’un fruit et de son moulage, nous allons créer un fruit imaginaire (photo) en combinant le moule du fruit ou du légume de notre voisin; le moulage de ce fruit servira ensuite à l’élaboration collective d’une fleur imaginaire (photo) ». Quelques contraintes matérielles s’imposaient : la forme devait être modelée sur une planchette de bois carrée de 25 cm de côté et de 0,5 cm d’épaisseur ; la hauteur de l’œuvre ne devait pas dépasser 20 cm.
L’intérêt des résidents pour cet atelier présentant une certaine complexité technique a agréablement surpris l’équipe de gériatrie. Malgré l’apparente difficulté de départ, les participants ont fait preuve d’une ténacité remarquable et constante. De part et d’autre, des efforts significatifs ont été consentis : les patients, dont la capacité de concentration était parfois limitée, se sont investis pendant une voire deux séances pour une même tâche ; de son côté, Fabien Noirot a dû faire preuve d’un travail d’adaptation considérable. En outre, une assistance technique s’est avérée nécessaire pour pallier aux limites physiques des patients : porter les objets, aider à les tenir, les mettre à portée… Des membres du personnel, des personnes de la famille et surtout des médiateurs de Tournesol, Artistes à l’hôpital devaient donc être présents aux ateliers.
A chaque séance, les patients ont manifesté du plaisir à « mettre les mains dans la matière » et à poursuivre leur travail. Si certains nous ont quitté en cours de route, la plupart ont mené le projet à son terme et ont reçu avec émotion leurs œuvres personnelles des mains de Fabien Noirot, lors de la restitution.
Les réalisations individuelles et l’œuvre collective ont été exposées au musée des moulages lors des Journées du Patrimoine en 2012 (photo) et des Journées porte ouverte de l’AP-HP en 2014, puis dans les établissements.
Un projet fédérateur
Le projet « Marcottage » valorise une technique artistique originale et s’adresse à un public dont les capacités physiques sont limitées. Démarche expérimentale, il a d’ores et déjà démontré son fort potentiel créateur, sa singularité qui n’entrave nullement son accessibilité, et surtout sa qualité de projet fédérateur. L’atelier Marcottage est en effet le lieu de rencontres : entre des structures (une association, un musée et un service de soin), entre des personnes (des patients, un artiste, des familles, des soignants et des médiateurs) et entre des formes (la spécificité du marcottage résidant dans l’assemblage de fragments préexistants).
Au-delà de l’intérêt et de la curiosité qu’il a suscités, il a contribué à faire connaitre le musée des moulages aux patients et aux personnels de l’établissement, ainsi que des sculpteurs comme Rodin.
Delphine Maugars