Un « temps fort » de découvertes et d’échanges au cœur des services hospitaliers
Forte de l’expérience acquise au cours du 1er Festival de Cirque Contemporain à l’Hôpital, l’association Tournesol, Artistes à l’Hôpital a souhaité, avec la résidence de création de Jeanne Mordoj, aller au-delà de cet exploit artistique et technique en travaillant plus en profondeur l’idée de « rencontre ». De l’apprivoisement à l’échange, des relations éphémères se sont construites chaque après-midi, dans une atmosphère de découverte et de confiance.
Un itinéraire artistique dans l’hôpital Rothschild AP-HP
Si les matinées de la semaine de résidence ont été dédiées au travail de création de l’artiste, les après-midis ont été tout entiers consacrés à la rencontre avec les patients, au sein même des services. Quatre groupes, librement constitués et issus de trois unités différentes (gériatrie ou rééducation), ont eu l’occasion de rencontrer l’artiste selon des modalités très simples : durant 10 à 15 minutes, Jeanne Mordoj leur présentait un extrait de l’un de ses soli (Eloge du Poil ou La Poème) ; le temps restant, soit 45 minutes à une heure, était dédié à la discussion, plus ou moins inspirée des formes artistiques, et vouée à nourrir le spectacle de restitution du dimanche. Réinventés chaque jour, ces moments singuliers bénéficiaient de la solidité de leur antériorité artistique, tout en s’appuyant sur la souplesse des petites formes et la capacité d’improvisation de l’artiste.
Une aventure risquée mais réussie, puisque 37 personnes ont participé à ces moments de rencontres dans les services, et 55 sont venues assister au spectacle de clôture du dimanche après-midi en Salle Nation, preuve de la curiosité et de l’intérêt que cette proposition artistique a suscité.
Créer un contexte de confiance
Une fois que ce contexte de confiance est posé, ils peuvent s’ouvrir, parce qu’ils savent qu’il y a une espèce de matrice qui va les contenir et qui ne va pas les lâcher. (…) Ce contexte, c’est aussi une attention qu’on donne aux gens. Que ce soit un travail théâtral ou autre chose, le sujet de la rencontre n’est qu’un prétexte
– Jeanne Mordoj
Le projet de résidence de Jeanne Mordoj a été conçu autant comme un temps de rencontres que comme un temps de création, si ce n’est plus : « Ca m’intéressait d’être là dans la mesure où j’ai du temps pour être avec les patients. Ça n’était pas juste avoir une salle dans un hôpital. Pour moi c’était vraiment important d’être en lien et pas uniquement en représentation » confie l’artiste (voir l’entretien complet). Or pour cette dernière comme pour ses publics, une étape d’apprivoisement s’est avérée nécessaire… Sans surprise pour l’équipe de Tournesol, Artiste à l’Hôpital, qui a fait de la médiation l’un de ses principaux savoir-faire. En a témoigné la présence quotidienne à l’hôpital Rothschild AP-HP d’Anne-Laure Yaguiyan, chargée de programmation et de médiation au sein de l’association, qui a facilité la prise de repères de Jeanne Mordoj, a accompagné les temps de rencontres avec les patients, et a évalué jour après jour, avec l’artiste, la pertinence de la démarche menée et de ses modalités.
Ce climat de confiance, indispensable pour l’artiste, conditionnait également la qualité du moment proposé aux patients. Car l’univers de Jeanne Mordoj, qui questionne la féminité, le corps et le rapport aux objets, peut surprendre, fasciner mais aussi, inquiéter. La valorisation de l’échange, et la relégation de la performance au rang de « prétexte » de la rencontre, a permis une forme de détente et une ouverture entre ces personnes qui, bien qu’évoluant dans le même service hospitalier, ne se connaissaient pas. Venues assister à cette proposition, en toute liberté, acceptant l’univers décalé de l’artiste, elles ont chacune livré quelque chose d’elles-mêmes, en mariant avec une grande simplicité la magie de l’instant et la vérité crue.
Des histoires d’œufs : récit d’un après-midi avec Jeanne Mordoj
Le vendredi 7 février, par exemple, ces « quelques choses » ont été des histoires d’œufs. Des histoires ? Plus que cela ! Des souvenirs inoubliables, celui de cette femme racontant sa découverte d’un nid de pigeons, exemple de propreté et d’ingéniosité à mille lieux de ce qu’elle avait jusqu’alors imaginé. Des anecdotes, celle d’un père toujours ébahi que son fils ait pu goûter des œufs de caïmans dans le Mississipi. Des légendes d’ailleurs, comme celles qui confèrerait à certains la capacité de lire l’avenir dans un œuf, prouesse observée dans l’enfance par l’une des patientes. Des récits de vie, celui de cette femme qui a collectionné minutieusement tous les trésors que lui rapportait son époux, chasseur d’œufs… Et finalement, quelques réflexions plus philosophiques, celle par exemple de cette autre femme qui évoque la dure vie des œufs de poissons, dévorés avant d’éclore pour beaucoup d’entre eux, une loi de la nature qui explique sans doute leur très grand nombre. Tout ceci inspiré de la courte proposition artistique de Jeanne Mordoj, qui confia elle-même sa propre histoire d’œuf : « J’ai une drôle de relation avec les œufs. Ca commence à faire un petit moment… C’est venu comme ça, un jour où je faisais un gâteau… ».
Finalement, dans l’espace confiné et contraint de l’hôpital, une brèche de liberté semble avoir été ouverte par un petit œuf qui, caché, montré, gobé, lancé, mangé, cassé, choyé par le talent d’une artiste hors-normes, a estompé la maladie le temps d’un après-midi.