Entretien avec Daniel Mizrahi & Awena Burgess

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Daniel Mizrahi (DM), guitariste, et Awena Burgess (AB), chanteuse, sont parmi les artistes les plus polyvalents de Tournesol, Artistes à l’Hôpital. Depuis 12 ans, ils proposent à l’équipe de l’association des répertoires et des formations variées, et ont démontré leur capacité à investir voire à initier des projets éclectiques. Tournesol donne aujourd’hui la parole à deux artistes passionnés qui ont su s’approprier les enjeux de l’art à l’hôpital.

 

« Avec Tournesol, le principal enjeu est de trouver un langage Ã©motionnel commun dans le court moment du concert. (…) On est tout de suite dans le sens du métier » – Awena Burgess

Comment vous positionnez-vous, en tant qu’artistes, dans la démarche de Tournesol ?

DM : Ce qui a été fondamental pour nous dans ce travail, c’est qu’une fois la confiance installée entre l’équipe de Tournesol et nous, nous nous sommes sentis très libres de proposer des choses diverses et variées qui n’avaient pas été tentées jusqu’alors. Pour un artiste, c’est très encourageant de travailler avec quelqu’un qui est capable de te dire « propose-moi ce qui te plaît et on va voir ce qu’on peut faire ». Me concernant, j’ai aussi répondu à des commandes de la part de l’association : il y a deux-trois ans, Julie Marchetti, ancienne programmatrice de Tournesol] m’a proposé que je joue en solo au CASH de Nanterre ; le référent sur place a beaucoup aimé et m’a demandé si je pouvais revenir la semaine d’après ; cela a donné naissance à un cycle de concerts, qui m’a poussé à travailler un répertoire solo que j’ai affiné au fur et à mesure.

AB : D’un point de vue de musiciens, cette démarche est très enrichissante, car elle nous permet d’exercer dans des conditions très privilégiées. Quand nous sommes au chevet en particulier, nous pouvons vraiment rentrer dans une communication assez intime avec l’auditeur, ce à quoi nous n’accédons pas du tout quand nous sommes en concert. Avec Tournesol, le principal enjeu est de trouver un langage Ã©motionnel commun dans le court moment du concert. Ce que j’aime particulièrement, c’est qu’on est tout de suite dans le sens du métier ; il n’y a pas le piège de la démonstration, comme il peut y avoir en concert.

Quelles difficultés artistiques et matérielles pose le cadre hospitalier ?

DM : Sur le fond, il n’y a pas vraiment de grande différence. Quand on vient jouer de la musique à quelqu’un, il y a une certaine exigence vis-à-vis de cette personne, de sa concentration, de son envie, de son temps. Je me suis rendu compte, en testant plusieurs répertoires, que ce n’est pas forcément en jouant aux gens quelque chose qu’ils connaissent déjà qu’on aura l’impact le plus fort.

AB : Pour moi, le plus difficile c’est le peu de temps dont on dispose. Pour les chevets, il faut changer de chambre toutes les deux-trois chansons ; on n’a donc pas vraiment le temps d’éplucher toutes les protections qu’on a les uns les autres. Dans les plus grandes salles ou dans des lieux de passage, se rajoute le challenge d’accrocher les gens, car ils ne sont pas tenus de rester, ou peuvent partir car ils ne se sentent pas bien… Quand il peut y avoir des séries dans un endroit c’est vraiment intéressant, car Ã§a permet de contourner en partie ce problème du temps.

DM : Quant au lieu, on nous désigne souvent des salles parce qu’elles sont grandes et qu’on peut y mettre plus de monde ; mais acoustiquement ce n’est forcément évident. Parfois on peut se retrouver dans une petite pièce ou dans un coin où par miracle ça sonne bien et ça permet de garder la concentration. Pour la plupart des publics, en particulier les personnes âgées, c’est le chevet qui est le plus adapté: c’est là qu’on peut vraiment créer un contact. A l’ONAC [maison de retraite partenaire de Tournesol], dès qu’on joue dans la grande salle, on est à deux mètres des gens mais c’est déjà trop loin. Ça n’est pas juste un problème visuel, c’est un problème de concentration et d’énergie.

Comment vivez-vous cette relation particulière avec les patients ?

DM : Je pense que le plus difficile c’est ce contact, qui peut être très direct, avec les gens. Il faut parfois assumer que ça ne se passe pas comme on l’espérait. On ne peut pas s’appuyer sur les codes de la scène. Je dirais qu’entre un concert standard et un concert avec Tournesol, les enjeux sont les mêmes mais exprimés différemment. Quand on joue pour une personne dans une chambre, on se questionne beaucoup, notamment sur notre place : au-delà de la musique, on entre dans l’intimité d’une personne, qui peut être souffrante au moment où on la voit.

AB : On ne peut pas attendre un retour immédiat : dans certains services, les soins palliatifs par exemple, on joue sans savoir si c’est bien ou pas bien ; on ne peut qu’essayer de le faire le plus entièrement possible. Je me souviens des deux années du cycle à Villiers-le-Bel [Hôpital Charles Richet AP-HP] avec Sandrine Monlezun, où l’on essayait d’amener des chants particuliers pour chaque personne, en fonction de ce qui résonnait pour eux : avec certaines personnes cela fonctionnait très bien, il y a un vrai échange ; avec d’autres ce n’est pas ce que tu chantes qui est le plus important, c’est la manière avec laquelle tu prends contact.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’association Tournesol ? Travaillez-vous sur de nouveaux projets avec son équipe ?

AB : Je trouve qu’il y a une belle constance de l’approche de Tournesol. L’accompagnement, la médiation et la qualité de la prise de contact ne sont jamais sacrifiés. Je constate aussi de plus en plus d’ouverture dans les types de projet. Quand on est arrivé, la programmation était surtout axée sur la musique classique. Aujourd’hui nous souhaitons proposer un duo de musique folk-américaine.

DM : En général, pour les musiciens qui ne sont pas attachés à un seul grand projet, le renouvellement est assez constant. Il y a tout le temps des choses qui commencent et des choses qui s’arrêtent, pour des raisons diverses et variées. Nous sommes habitués au changement. Finalement, le travail avec Tournesol est l’une des choses les plus constantes de notre carrière… !

 

Propos recueillis par Delphine Maugars – 22 avril 2014