CaKtus & Tournesol : quand Sylvain Julien arrondit les angles de l’hôpital…

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En mars 2014, l’équipe de Tournesol, Artistes à l’Hôpital, a le plaisir de retrouver Sylvain Julien pour la 2e édition du Festival de Cirque Contemporain à l’Hôpital. En quête perpétuelle de nouveaux horizons, ce dompteur de cerceaux à l’énergie insatiable s’était naturellement laissé séduire par l’idée de performances en établissements de soins. Il revient aujourd’hui avec un spectacle inédit, dont la poésie et l’humour n’ont pas manqué de captiver les patients de psychiatrie.

Il était un petit homme…

 

Sylvain Julien est « un homme anguleux à l’énergie débordante, un peu fou peut-être mais pas trop méchant »… ou est-ce Ï, le personnage de son spectacle ÏopidO, ce jongleur tenace qui défie ses angles par la rondeur de ses cerceaux ? On ne sait guère… Car leurs deux itinéraires sont aussi courbés que leur objet fétiche.

Engagé dans des études d’économie, Sylvain Julien se tourne finalement vers le cirque, suivant son instinct à la faveur d’un heureux hasard :

« C’était une envie de vie, d’apprentissage permanent, de rencontres… »

Ses études au Centre National des Arts du Cirque le confirment dans son choix. Loin d’apprécier les parcours en ligne droite, Sylvain Julien s’épanouit dans les virages que lui présente son itinéraire artistique : théâtre, danse, cirque, marionnettes, conte… ses six premières années de carrière foisonnent de collaborations et de projets hauts en couleurs. Malgré ces découvertes, un seul objet réussit à lui faire tourner la tête :

« J’ai rencontré mon premier cerceau il y a cinq ans [2006], nous fûmes un peu timides à nos débuts mais la relation s’est peu à peu approfondie jusqu’à ce que nous décidions il y a un an et demi de faire vie commune, pour le meilleur et uniquement pour le meilleur… »

En 2011, il consomme ce mariage artistique sous la forme d’un solo, ÏopidO, monté avec le producteur Charles Vairet. Il y propose une plongée dans un monde de cercles, perfection géométrique qui enferme le corps autant qu’elle le libère, le cerceau démultipliant les matières, les mouvements et les formes. Or ce petit homme, qui questionne les limites de son corps et de son espace et fait tourner son monde avec une fantaisie inépuisable, sait transformer les contraintes en sources d’inspiration.

Artiste « tout terrain » cherche terre inconnue

 

L’univers et la créativité de Sylvain Julien se déploient aussi vite que tournent ses cerceaux. S’épanouissant dans l’incongru et l’imaginaire, il valorise des matériaux susceptibles de se réinventer sans limite et de s’adapter à des situations extrêmement diverses. Son ambition ? « Jouer tout-terrain ». Une telle démarche attire rapidement l’attention de Charles Vairet :

« Sylvain fait partie des quelques jongleurs dont l’univers dépasse la seule prouesse technique. Il est capable d’inventer quelque chose pour chaque contexte. Ce qu’il y a d’intéressant avec sa proposition, c’est que si on la revisite dans six mois, elle sera encore différente. (…) Avec Sylvain, il y a un univers, un personnage, de l’humour, le tout dans un rapport à l’autre et au vivant bien particulier »

Cette singularité fait de Sylvain et de ses cerceaux les candidats idéaux pour le Festival de Cirque Contemporain à l’Hôpital. C’est ainsi que tout juste sorti d’Opido, le pays des O, Ï part à la découverte du monde hospitalier… qui lui révèle d’emblée ses petites inhospitalités :

« Je suis habitué aux grands plateaux (rires). Hier, à l’hôpital Théophile Roussel, la scène faisait 4,5 x 5,5 mètres. Je n’avais jamais joué avec des cerceaux dans un espace aussi petit ! Quand je tendais le bras avec un cerceau et que je faisais un tour sur moi-même, je frôlais les murs »

Cette fois-ci, son sang n’a fait qu’un tour… Heureusement, des tours, Sylvain en a plusieurs dans son sac, et ses cerceaux le savent bien : lancés, balancés, noués, tendus, tordus, remplis, vidés, ils reconstruisent par mille et une pirouettes le petit monde de l’artiste dans les environnements les plus rudimentaires. Car ce petit monde est avant tout un itinéraire dont les virages, toujours saisissants, n’en restent pas moins familiers :

« Avec mon bagage et mes matières, j’essaye de me raconter une petite histoire, en me laissant une marge de liberté. (…) Dans le spectacle que je fais normalement, il y a quelqu’un qui envoie des cerceaux dans tous les sens. A l’hôpital, je suis tout seul ! Donc j’ai décidé de retourner à l’essentiel : prendre un tas de cerceaux et essayer de l’épuiser, en faisant au passage un petit trajet »

Cette capacité d’adaptation, portée par l’inventivité de Sylvain, se nourrit également des échanges entretenus avec ses collaborateurs réguliers. Charles Vairet apprécie cette ouverture, selon lui nécessaire à la bonne organisation d’un spectacle à l’hôpital :

« J’avais envie de proposer ce projet à des gens dont je me sentais proche et avec lesquels je savais qu’il pouvait y avoir discussion (…). Je connaissais bien Sylvain et je savais qu’il serait non seulement capable de s’adapter mais qu’il aurait envie de le faire »

Un univers poétique qui séduit les patients de psychiatrie

 

Après un spectacle en service de gériatrie à l’hôpital Rothschild AP-HP en 2011, la 2e édition du Festival de Cirque Contemporain à l’Hôpital mène Sylvain en unités de psychiatrie, au Centre Hospitalier Théophile Roussel et à l’EPS Erasme à Antony. Ces deux établissements avaient déjà été investis par des compagnies de cirque contemporain pour la 1ère édition du festival. Disponibles, mobiles et surtout très sensibles à la poésie et au caractère imaginatif et décalé des propositions de nos circassiens, les patients de psychiatrie sont nombreux à répondre à l’appel. Les enfants et adolescents du Centre Hospitalier Théophile Roussel, captivés, ont reconnu « l’endurance », « le talent » et « l’humour » de Sylvain Julien, et ont apprécié « la joie », « la poésie » et « la grâce » qui émanent de sa performance. A l’issue du spectacle, les adultes de l’EPS Erasme ont beaucoup questionné l’artiste, s’enquérant de son parcours, sondant la magie de certains numéros, et taquinant le grain de folie qui habite son personnage. Un moment que Sylvain Julien savoure :

« Quand tu joues dans un théâtre, il y a parfois une discussion avec le public mais c’est assez rare, et très formel. Là, aussi bien hier qu’aujourd’hui, j’ai rencontré des gens qui sont un peu « à poil » d’une certaine manière. Et c’est très touchant »

Mais pour Sylvain Julien, l’engagement artistique précède et oriente la démarche altruiste :

« Je n’ai pas une passion depuis mon enfance pour le monde de l’hôpital ! (…) Mais j’ai envie de jouer, quel que soit le public, quel que soit le lieu. Si en plus ça peut être dans un cadre où ça ne se fait pas habituellement (…), alors tant mieux. (…) Le fait que ça se passe en milieu hospitalier ne change finalement pas grand-chose, aussi parce que je n’avais pas envie que ça change »

Il partage ainsi sans effort la vision et l’exigence de ce Festival de Cirque Contemporain à l’Hôpital : organiser des spectacles dans des conditions les plus proches possibles de celles des salles traditionnelles et accueillir les patients comme n’importe quel public. Or la magie de cette neutralité respectueuse est sa faculté à inspirer, en douceur et en profondeur, le projet de l’artiste lui-même.

« Ces deux expériences en psychiatrie stimulent une envie lointaine. Je ne sais pas si je pourrais concrétiser ça un jour, mais c’est un monde qui me questionne. Je vais continuer à y penser »

Nul doute qu’elle soufflera un vent nouveau dans le petit monde d’Ï…

 

Delphine Maugars
31 mars 2014

Voir aussi: Filmer le cirque contemporain à l’hôpital

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